À Paris, les teufeurs montent le son pour moins de répression

Publié : 20 octobre 2025 à 12h23 par
Christophe HUBERT

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Crédit : générée par IA

À Paris, les teufeurs montent le son pour moins de répression

« Contre l’oppression, on monte le son ! » Samedi dernier, les rues de Paris ont vu s’ébranler un cortège aussi festif que revendicatif, à la faveur d’une « Tekno Parade » alternative organisée par les tenants de la fête libre.
Des milliers de personnes se sont rassemblées autour d’une culture musicale et festive, dénonçant la répression dont font l’objet les free parties depuis des années : interventions policières, saisies de matériel et contraventions. Dix camions chargés de murs d’enceintes ont fait cracher leurs sons, revendiquant plus de dialogue, mais surtout la pleine reconnaissance de leur mouvement culturel.

« Il y a un mouvement anti-teufeurs qui s’intensifie et qui nous déshumanise », déplore Manu, venu de l’Ariège. « Aujourd’hui, même une fête à 60 personnes, ce n’est plus possible. On nous bloque, on saisit notre matos. On est en autonomie totale, et ça dérange. »

En quelques mots, Manu résume la situation : un mouvement festif qui souhaite organiser des soirées librement — même si le cadre actuel les rendent illégales — et des pouvoirs publics peu enclins à les laisser faire.

Ces derniers mois, plusieurs préfectures ont pris des arrêtés interdisant pour un an les « rassemblements musicaux illicites », au nom de la sécurité et de la santé publique. En parallèle, une quarantaine de députés du camp présidentiel ont proposé de renforcer la pénalisation de ces événements, accentuant le sentiment d’injustice parmi les acteurs du mouvement.

« On aimerait pouvoir vivre notre mouvement, nos valeurs, sans se faire taper dessus, physiquement ou financièrement », explique Agathe, membre d’un collectif du Sud de la France. Pour Magali, quadragénaire présente depuis les années 1990 dans les free parties, ces rassemblements sont avant tout une bouffée d’air : « C’est une soupape, une démarche anticonsumériste. J’y emmène parfois mes enfants pour leur montrer qu’il existe une alternative bienveillante, loin des clichés. »

Là encore, la manifestante pointe du doigt l’un des enjeux du dossier : en appelant à une liberté d’action (et de fête), le mouvement free party interroge la société sur sa capacité à gérer ses "marges", ces collectifs alternatifs, qui flirtent avec la légalité, dans un moment politique où la conciliation est vue comme une faiblesse, les coups de menton comme du courage. Sa capacité à gérer une partie de la jeunesse et de la population qui ne se reconnaît pas dans le cadre établi, disons libéral et consumériste. Ce que Fabrice, présent dans la manifestation du week-end dernier, résume ainsi : « Tout le monde n’a pas les moyens ou l’envie d’aller en club. On a besoin de pouvoir faire la fête librement, ensemble, sans être jugés. »

Alors que la tension entre les autorités et les teufeurs s’accentue depuis plusieurs années, parfois sous l’impulsion de ministres de l’Intérieur faisant des free parties un marqueur politique ou de communication, la voix d’un ancien ministre de la Culture vient appeler à l’apaisement. Jack Lang a en effet plaidé pour une « réconciliation entre l’État et les free parties », rappelant que ces rassemblements incarnent une part essentielle de la créativité française.

Rappelons d'ailleurs qu’au début des années 2000, un "terrain d’entente" avait été trouvé, permettant un dialogue entre préfectures et organisateurs de free parties pour, par exemple, identifier des sites adéquats, sans nuire à quiconque. Il existe aussi des associations de prévention des risques liés à la consommation de drogues, qui agissent sur le terrain des free et font plus pour les teuffeurs que les discours moralisateurs. Bref, la fête libre n’est pas la fête bête, et la Tekno Parade du week-end dernier a montré des passionnés, des militants loin de la caricature qu’on en fait.

Seront-ils écoutés par le ministère de l’Intérieur ? Le ministère de la Culture se sentira-t-il concerné ?
Dans la négative, le cortège parisien a déjà répondu, par ce slogan : « Le dernier rempart de la culture sera un mur du son. »

[avec AFP]

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