UNE NUIT A LA WEATHER SUMMER FESTIVAL

15 septembre 2015 à 10h27 par La rédaction

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Cet article se revendique ouvertement issu du style « gonzo style », inventé par Hunter S Thompson (présent à la Weather, voir ci-dessous).  Il s’exprime à la première personne du singulier, n’offre aucune neutralité, si ce n’est celle recherchée par son auteur Gabriel Bertrand. Ce dernier s’efforcera donc de  vous restituer ses souvenirs d’une soirée mouvementée à bien des égards. Il m’a par ailleurs juré croix de bois croix de fer qu’il n’a consommé que quelques bières : connaissant l’animal, je vous assure qu’il ne fut en rien éméché. Son esprit resta clair, ou du moins il en eût l’impression.

Sur ce, heureux lecteur, je vous laisse entre les mains de mon cher confrère.                                                                                                              

Monsieur BIGRELA

 

Mr Hunter Stockton Thompson nous a fait l'honneur de sa présence samedi et m'a inspiré pour l'article. Un grand merci à lui. 

22h20

 Me voila face à l’entrée. Des vagues de gens virevoltent autour de la station Porte de la Villette. Ils s’attendent, se cherchent, se retrouvent et s’animent. Les bouteilles en plastique ne contiennent plus, ou alors pas encore d’eau : la vodka bon marché semble garder le monopole des 16-25 ans, talonnée de près par le whisky. Leurs potions bues, les fêtards s’attroupent face aux petites cabines blanches qui font office de billetterie. Que j’aime mon métier ! Etant accrédité service presse, je passe par la poterne. Me voila arrivé sur place en deux minutes : certains en mettront plus de quarante cinq.

22h 22

La chose qui s’ouvre à mes yeux est plutôt fascinante : deux hangars gigantesques de 15000 m2 blastent en puissance des décibels .EN PUISSANCE ! J’insiste durement sur ce point : le système son déchire les oreilles. Les basses font vibrer le sol qui vous chatouille les pieds ; elles martèlent votre thorax, vous font inexorablement hocher la tête : je danse déjà ! Me voilà pris sous « l’euphorie d’entrée en boîte ». A ce moment, c’est le frenchie Lazare Hoche qui officie aux platines.

22h 43

Le public, majoritairement juvénile, est incroyablement éclectique. Ainsi, j’ai le loisir d’observer un rasta se secouant torse nu, les dreadlocks au vent, à coté d’une racaille diamantée, en chaîne et en bob.  Une grande écrevisse à talons emprunte du feu à une hippie pieds nus. Plus loin, une gothique à couettes vert pomme et en cuir noir prête son éventail rose bonbon à une petite brune en air max-snapback. Les gens se bousculent un peu mais s’excusent illico : je ne ressens aucune pression. Et n’en ressentirai aucune durant la soirée : le service d’ordre étant efficace, et le public ramolli par la MDMA, je ne vis aucun conflit. Mais je reviendrai sur ces deux points plus tard.

  

23h 00

La première chose à faire dans ce genre d’endroit, la vague d’énergie dansante passée, c’est d’aller prendre un rafraichissement. Du moins, c’est ce qu’on s’est dit avec mes amis : nous voila rapidement devant un comptoir carré. Il y en a un peu partout, avec peut-être trop peu de serveurs par bar. Enfin, une soirée sans attente, ça n’existe probablement pas… Ici, on paie avec une carte à recharger que l’orga nous donne. On roule à l’éco-cup, valeur un euro ; plus tard, je verrai des petits malins en collecter des dizaines. La solution est écologique, le verre est solide et peut servir de souvenir : le public adhère. Que dire des prix ? Plutôt raisonnables pour une soirée en plein Paris. Le demi d’Heineken coûte 4 euros, le litre quinze. C’est presque pareil pour le vin, apparemment passable.

23h 12

Une bière fraiche engloutie se conjugue toujours avec une vessie pressante. Nous voila partis pour une mission urinatoire… Et je traverse le hangar numéro deux. Ici, c’est le temple de la techno : le BPM est d’une vitesse affolante, et les mouvements de têtes redoublent d’intensité. Les gens dansent plus crûment, ont l’air plus défoncés aussi. Il y a moins de monde mais la musique m’oppresse : je presse le pas. C’est toujours une expérience troublante de traverser un hangar de 4000 personnes : que de visages aperçus ! Que de styles observés, d’états et de symptômes diagnostiqués, de regards croisés !

23h22

Enfin, nous voilà au bout de la périlleuse traversée. Dehors, un large espace s’offre à nous : les odeurs de viandes grillées viennent caresser mes sinus. Une demi-douzaine de food trucks propose divers mets chauds et populaires chez les jeunes : burgers, pasta box, indien, churros et mexicain.. On avoisine la dizaine d’euros pour un menu, de qualité selon mes investigations ! Plus loin, une petite scène open-air souffre des caprices du temps. Il ne pleut plus, mais de larges flaques d’eau dissuadent la plupart des danseurs. Seul une centaine de fêtards se presse sur le woodfloor, face à la cabine de deejays (LOFNI puis Camion Bazar) installée dans une kebab-camionnette. Sympa, aéré et moins violent.

23h 35

J’arrive aux toilettes et redoute le pire. Je vois déjà au loin les gens s’amasser ! Encore une organisation des toilettes à la démesure du nombre de gens pressés. Et je me trompe ! Les pissotières sont assez bien foutues et peu remplies. Je viens de les confondre avec le service d’eau, qui lui est sur le point d’exploser. Les gens s’entassent, se poussent, s’étouffent, les pupilles dilatées et la bouche asséchée. Ils brandissent tous une bouteille vide en  hélant désespérément les rares heureux qui accèdent aux robinets.

Suivant le fil du récit que j’essaie de tisser chronologiquement, je me rends compte que je mentionne par deux fois la drogue MDMA. Il est temps, je crois, d’aborder ce point crucial. Ce stupéfiant a en grande majorité conquis les festivaliers du soir. Cette drogue décuple vos sens, vous fait ressentir la musique plus intensément ; elle a également pour effet de vous déshydrater. Elle dilate vos pupilles, vous rend affectueux et affectif, et ramollit une grande partie de vos fonctions articulatoires…  Compliqué pour interviewer ! Ce soir-là , j’ai vu cette drogue dans beaucoup trop d’organismes. La MDMA est devenue tellement populaire chez les jeunes… C’est effrayant ! Simple à se procurer et à dissimuler, elle n’est pas chère et les effets durent longtemps. Elle a donc tous les atouts pour séduire les fêtards… Au grand dam des non-consommateurs, qui auront parfois l’impression d’être les seuls rescapés humains parmi une horde de zombies en sueur.

00h14

Je passe en revue le service de sécurité, dont la grande politesse et la loquacité m’étonneront toujours. Les men in black font du zèle, mais sans tension. Il faut dire que le mollusque sous D n’est jamais belliqueux, peu réactif et souvent docile. Reste les fêtards ivres à gérer. Ils sont peu nombreux en vérité ! L’alcool est un nectar précieux ce soir-là.

01h38

Je passe faire un tour aux backstages. Je découvre-là un havre de paix : il y a de l’espace, un bar et des toilettes propres et libres, et même des transats… La happy few roucoule dans son espace alors qu’on étouffe parmi le peuple ! 

5h15

Sonné, les jambes engourdies et les oreilles bourdonnantes, je ne tiendrais pas le rythme fou de mes camarades sous stupéfiants, qui resteront comme beaucoup jusqu’au lever du jour. J’enjambe donc une dernière fois les cadavres suants échoués sur le sol et m’échappe de cet enfer sonore. A la station Porte de la Villette, on fait la queue devant les portes closes… Curieuse image que celle de ces êtres épuisés, le regard vide,  fascinés par la lumière éblouissante du métro. Ils ne parlent plus, et profitent enfin du silence. Je décide de ne pas le rompre, et m’assois sans bruit à leur cotés…

 

GABRIEL BERTRAND